vendredi 11 septembre 2015

Nouvelle : Infernale Nature

Infernale Nature

La salle était vaste et silencieuse. Rien ne pouvait les déranger. A présent seul à seul, l’inspecteur Denis Lone espérait au moins obtenir des réponses aux questions qu’il se posait depuis si longtemps. En tant qu’enquêteur principal sur cette série de meurtres, avoir rattrapé le coupable après dix ans de poursuite et pouvoir en savoir plus était devenu déterminant pour lui, presque salutaire. Le docteur Henri Grant, l’homme qui lui faisait face, restait assis, serein et froid. Aucune expression de folie ne barrait son visage. Aucune étincelle de délire ne brillait au fond de ses yeux, aussi noirs que les ténèbres elles-même. Et pourtant, il était dément. Il ne pouvait en être autrement. Les multiples tortures subies par ses victimes en attestaient violemment.
La netteté des incisions au scalpel qu’il effectuait un peu partout sur les corps sans sectionner un seul point vital, prolongeant ainsi la souffrance et l’agonie, faisait de lui un virtuose de la mort. Denis connaissait par cœur son mode opératoire. Ce qu’il ignorait, en revanche, c’était les raisons qui poussaient ce monstre à tuer ou à opter pour une proie plutôt qu’une autre. Aucun de ses choix ne se ressemblait. D’après les témoignages et les services sociaux, il avait eu une vie plutôt calme et modeste, bien qu’étant considéré par son entourage comme un petit génie. Qu’est-ce qui l’avait fait changer ? De quel dérèglement mental souffrait-il ? Seules ces questions restaient à présent sans réponse.
Avant que tout ne se termine, qu’il n’ait plus les moyens de l’interroger à sa guise, l’inspecteur était bien décidé à découvrir tout cela.
— Je suis le fils du démon, dit le tueur en série lorsqu’il ouvrit la bouche pour la première fois.
Denis suait déjà à grosses gouttes. L’entretien risquait d’être bien plus pénible qu’il ne le pensait au départ. Si Henri n’en avait pas l’air, les mots qui sortaient de sa bouche prouvaient sans conteste qu’il lui manquait un grain.
— Rien que ça ! S’exclama l’inspecteur, se forçant à rire.
— Vous pouvez vous moquer, mon ami. Elena était comme vous, mais à cette différence près que je lui ai appris à rire réellement.
L’inspecteur ne releva pas. Il devait faire référence à Elena Rockwell, sa première victime. Il s’agissait d’une jeune femme d’à peine vingt ans, plutôt jolie avant qu’il ne s’en occupe, retrouvée dix années auparavant, crucifiée post-mortem la tête vers le bas et exposée aux yeux de tous sur un terrain de sport. A l’époque, la presse lui avait donné le surnom de « Démon souriant » en référence aux larges entailles qu’il avait découpées sur le visage de sa victime.
— Dites-moi… Pourquoi elle ?
Denis avait du mal à soutenir le regard de son interlocuteur. La fatigue commençait à se faire sentir. Mais il tenait bon. Il devait savoir coûte que coûte. Henri ne trembla pas une seule fois, ne détournant à aucun moment ses yeux de l’inspecteur. La maîtrise du chirurgien.
— Oh ! Allons, mon ami. Vous semblez la transformer en victime innocente. Pourtant, elle était bien loin de l’être, croyez-moi. Si vous aviez sorti le nez de vos papiers, vous vous seriez rendu compte de ce qu’elle était vraiment.
Le tueur restait d’un calme et d’un aplomb aberrants.
— Que croyez-vous… Qu’elle était ?
— Son âme était noire. Je l’ai libérée.
— Vous l’avez tuée !
— Tuée ? Par tous les enfers, non ! S’exclama-t-il à moitié amusé comme on l’est par un jeune enfant. Je ne suis pas un assassin. Pour qui me prenez-vous ? Elle était emprisonnée dans ce corps grotesque que j’ai du briser pour lui rendre toute sa beauté.
— Et vous croyez vraiment que la torture était une libération ? Grimaça Denis, peu convaincu par l’explication du meurtrier. Les quelques traces d’anesthésiant n’enlèvent rien au résultat.
— Le sang est une matière tellement puissante et spirituelle, répondit le docteur sans se froisser. Il véhicule l’âme à l’intérieur du corps humain. Quand celle-ci a été contenue et compressée durant des années, il faut y aller en douceur pour l’aider à reprendre sa forme originelle.
— Et pour les autres ? Vous les avez également libérés ?
Denis avait du mal à trouver ses mots. Cet homme semblait réellement penser ce qu’il racontait. Totalement absurde. Il avait besoin d’un séjour prolongé dans un service psychiatrique. C’était certain. L’inspecteur décida de profiter des dernières minutes qu’il lui restait en tête-à-tête avec le tueur pour obtenir le fin mot de l’histoire.
— Evidemment, affirma Henri. Je les ai cherchés longtemps, mes frères et sœurs. Leurs âmes m’appelaient jours et nuits. C’est mon pouvoir, vous savez.
— Votre pouvoir ?
— Oui, je vous l’ai dit, confirma le chirurgien. Je suis le fils du démon.
— Et d’après vous, je suis l’un des vôtres ?
Henri Grant noua le fil qu’il venait de coudre sur le corps de l’inspecteur, le liant au pentacle qu’il avait sculpté. Il se releva puis s’éloigna de quelques pas pour admirer son œuvre. Le sang de Denis s’écoulait toujours de ses nombreuses plaies. Mais avant de sombrer dans l’inconscience, il entendit la voix froide de l’assassin.
— Oh ! Oui, mon ami. Et vous n’êtes pas le dernier.

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